L'Héritier publié le 30/06/2009  - mis à jour le 05/10/2009

L’HERITIER

1

Tout commença le jour de mon quinzième anniversaire, en 1832. Il faisait un temps magnifique. Dans le jardin, baigné d’une douce lumière, l’atmosphère était paisible. Nous jouions, ma cousine et moi, avec la balle que m’avait offerte mon père ce jour-là.
Soudain, nous entendîmes des coups de feu dans le salon. Ma cousine qui était deux ans plus âgée que moi courut dans la maison et j’entendis à nouveau résonner une détonation. Mon cœur battait la chamade. Je décidai d’aller me cacher derrière un buisson. De nouveaux bruits se firent entendre. On jetait des objets sur le sol. Puis ce fut le silence. Toujours sous le coup de l’émotion, je décidai d’entrer dans la maison. Les corps de mon père, de ma cousine et de ses parents, étendus sur le sol, étaient ensanglantés. Je réprimai un haut le cœur. Ma vue se brouilla. Mes yeux bleus étaient emplis de larmes. Tout à coup, j’entendis des bruits de pas. L’assassin était toujours là, dans la chambre de mon père. Les yeux toujours embués, je pris le pistolet et le sabre qui se trouvaient au dessus de la cheminée. Je montai une à une les marches de l’escalier et d’un pas discret mais mal assuré je me dirigeai vers la chambre. Je sentais mon cœur frapper ma poitrine. Je poussai la porte et j’entrai. Personne. La fenêtre était ouverte. L’assassin avait du s’enfuir par là. Je balayais plusieurs fois la pièce du regard. Tout était sens dessus dessous. Le bureau de mon père avait été fouillé. Le tiroir dont j’avais toujours eu l’accès interdit avait été forcé. Je regardais à l’intérieur. J’y trouvai un portrait de ma mère. Elle était morte à ma naissance. Le portrait était posé sur un journal daté du 15 janvier 1817, trois jours après ma naissance. En première page, un article :
« Une femme du nom d’Elisabeth Cipazan a été retrouvée morte. Trois jours auparavant elle avait mis au monde un adorable garçon prénommé Emmanuel. Le père de l’enfant dit soupçonner un dénommé Elgolie. Ce pirate bien connu des marins de toutes mers et de tous océans est réputé pour sa cruauté……. »
Je n’eus pas la force d’en lire davantage. Pourquoi cet homme s’en était-il pris à ma mère ? Etait-ce lui qui était revenu aujourd’hui ? Mais pour quelle sombre raison ? Les questions s’entrechoquaient dans ma tête. Je ne savais plus où j’en étais. Une légère brise vint me caresser le visage et je sentis l’air marin. Le port ! Si c’était bien Elgolie l’assassin, il avait du retourner au port où son navire devait être amarré. Sans plus réfléchir, je courus dans ma chambre et pris un sac dans lequel je mis toutes les affaires dont je pensais avoir besoin : une couverture, une boussole, la longue vue de mon père et le portrait de ma mère. Puis, le pistolet et le sabre à la ceinture, je franchis la porte d’entrée en priant Dieu pour que les âmes de ma famille reposent en paix et je me dirigeai vers le port, les yeux cernés de rouge. Que de monde en arrivant ! Je me faufilais dans la foule des marins et déjà je pensais renoncer à mes projets quand soudain j’entendis la voix tonnante d’un homme d’équipage : « Capitaine Elgolie, nous sommes prêts à lever l’ancre ! » Il était là, sur le quai, observant avec satisfaction un vieux parchemin qui semblait être une carte. Je m’approchai et je vis qu’étaient inscrits sur cette carte en lettres d’or le nom et le prénom de mon défunt père : Alban Cipazan. C’était donc cette carte qu’il était venu chercher, cette carte qui l’avait conduit à tuer toute ma famille ! Tout à coup, il se retourna. Son regard me glaça. « Que me veux-tu ? » hurla-t-il en me dévisageant. Je restai coi. « Si tu n’as rien à dire, déguerpis, sale morveux ! » Je lui demandai s’il avait de la place pour moi à bord de son navire. Il rit aux éclats. « Tu ne tiendras pas trois jours ! » Trois jours….l’âge que j’avais lorsqu’il m’enleva ma mère. Je le défiai du regard. « Ta détermination me plaît, petit ! Monte à bord ! Nous prenons le large ! »

2

Je visitai le bateau. C’était un trois mâts magnifique sur lequel les hommes s’affairaient, chantant pour se donner du cœur à l’ouvrage. La silhouette de l’un d’entre eux attira soudainement mon regard. Il se tenait à l’écart et était étrangement silencieux. Il devait avoir à peu près mon âge. Peut être même était-il plus jeune que moi car il était encore imberbe. Ses traits étaient fins, mis en valeur par le bonnet blanc qu’il portait et qui cachait ses cheveux. A son tour, il me regarda. Je fus comme transpercé par ses yeux verts. C’était comme si la terre s’effondrait sous mes pieds. Il s’approcha.
 Qui es-tu ? me demanda-t-il d’une voix douce.
 Je m’appelle Emmanuel. Je suis mousse. Et toi ?
 Mon nom est Gaby.
Des cales, on entendit un des marins hurler son nom.
 Excuse moi, me dit-il, je n’ai pas le temps de te parler. Ici on ne se détend vraiment que le soir. Alors, je m’allonge sur le pont et lorsque la lune est pleine, je l’observe en rêvant au jour où je quitterai enfin ce navire maudit !
Sur ces mots énigmatiques, il se dirigea vers les cuisines. Je le suivis et sympathisai avec le cuisinier. Il s’appelait Albert mais était surnommé « Langue de bois ». Il était sur le navire depuis des années. Il était assez vieux, petit, et sa peau était rongée par le sel et le soleil. Il me donna du travail. Jamais il ne m’avait semblé avoir fait autant d’efforts. Lorsque, éreinté, je regagnai le pont, je constatai que la lune était pleine. Au loin j’aperçus la silhouette de Gaby, assis sur le bastingage. Lorsqu’il m’aperçut, il se leva et s’approcha de moi. A l’oreille, il me susurra : « j’ai un secret à partager avec toi ». Il enleva son bonnet. Une chevelure soyeuse et resplendissante de couleur blonde recouvrit ses épaules. J’étais paralysé. Que faisait cette fille sublime à bord de ce navire ? Peu m’importait au fond…Mon cœur battait la chamade. Mes mains étaient moites. Nos lèvres se frôlèrent délicatement. J’étais amoureux.

3

Nous étions en mer depuis plusieurs semaines. Chaque jour, je devais obéir aux ordres d’Elgolie, ce monstre sanguinaire ! Je le haïssais et ma colère contre lui grandissait au fil des heures qui passaient. Heureusement que Gabrielle était là.
Un matin, alors que je réparais à l’aide d’un marin nommé Francky, l’une des voiles qui s’était malheureusement décrochée du mât de misaine, je constatai que le capitaine m’observait. Il était sur le pont, tenant fermement le gouvernail et posait sur moi ses yeux terribles. Gabrielle était là elle aussi. A genoux sur le sol elle s’efforçait sans parvenir à dissimuler sa colère, d’effacer des tâches de vin sur le pont. La veille, l’un des tonneaux s’était ouvert en tombant. Soudain, Elgolie, les yeux toujours rivés sur moi, m’appela :
« Emmanuel ! » L’entendre prononcer mon prénom me faisait horreur. Je m’approchai de lui.
« Je t’admire beaucoup, me dit-il. J’aime ton courage. Tu es comme le fils que je n’ai jamais eu. » Gabrielle sursauta. Ces paroles semblaient la blesser profondément mais je ne comprenais pas pour quelle raison.
« Je te considère comme mon fils » répéta Elgolie qui ne semblait pas avoir pris conscience de mon trouble. Cet homme, ce monstre, s’était pris d’affection pour moi !
« Ces paroles me touchent profondément. Vous aussi, vous êtes le père dont j’ai toujours rêvé… » Prononcer ces mots c’était un peu comme avaler de l’huile bouillante. Mais je sentais que je tenais là ma vengeance !
Quelques heures plus tard, il profita du fait que tous les marins étaient occupés pour me confier un secret : la carte ! Cette carte qu’il avait volée dans le bureau de mon père et pour laquelle il avait tué sans vergogne toute ma famille. « Je compte sur toi pour être discret ! » me chuchota-t-il « Je préfère que tu la gardes car certains marins ont déjà tenté de me la voler. J’ai confiance en toi. Ne me trahis pas ! » S’il avait su…. Je lui serrai la main en signe d’acquiescement.

4

Le soir même, je m’apprêtais à me coucher lorsque j’entendis des hurlements. C’était la voix de Gabrielle. Elle criait si fort que je n’entendais même pas le bruit des craquements du bois sous mes pas. Je me dirigeai vers la cabine d’où elle appelait à l’aide. La porte était ouverte. Je vis Elgolie, une chaise à la main. Il frappait Gabrielle avec. Effrayé, je restai pétrifié. Je ne supportais pas de la voir souffrir ainsi mais comment intervenir sans compromettre mes plans ?
Heureusement, le capitaine ne tarda pas à quitter les lieux. Quand il fut parti, je me glissai dans la cabine. Gabrielle était allongée sur la paillasse. Elle pleurait. Je m’approchai, faisant craquer l’une des planches du parquet. Gabrielle se cacha sous la couverture.
« Pitié, papa, ne me frappe pas ! »
Papa ? Comment était-ce possible ? Gabrielle était un ange…Elle ne pouvait pas être la fille de ce monstre sanguinaire !
« Ne t’inquiète pas, c’est moi, Emmanuel ».
Elle me regarda, les yeux larmoyants.
« Ton père est le diable en personne. Il a assassiné tous les membres de ma famille. Je les ai trouvés étendus sur le sol le jour de mes quinze ans. Il y avait du sang partout. A présent, c’est à toi qu’il s’attaque. C’en est trop ! »
Je sortis la carte de mon veston.
« La seule chose qui l’intéresse c’est cette carte au trésor ! »
Je pris Gabrielle dans mes bras.
« Je vais nous sortir de cet enfer, je te le promets »

5

Je ne pensais pas que mes paroles prendraient sens si rapidement. En effet, le lendemain, en me levant, je réalisai que nous étions prêt à accoster sur une île paradisiaque. L’île du trésor ! Le capitaine donna à tous les membres de l’équipage une journée de repos. Il ne voulait certainement pas être dérangé dans ses recherches. Une fois sur l’île, les hommes vaquèrent à leur occupation préférée : ne rien faire ! Elgolie, lui, disparut toute la journée. Lorsqu’il revint à bord, il avait l’air hors de lui. Violemment, il jeta la carte à mes pieds puis il s’enferma à double tour dans sa cabine.
La nuit tomba. Gabrielle me rejoignit discrètement sur le pont. Il était temps pour nous de nous évader. Nous nous glissâmes le long de la coque du navire grâce à une échelle de corde et nageâmes jusqu’à la plage. Nous passâmes la nuit à la belle étoile. A l’aube, nous commençâmes nos recherches. Il nous fallait trouver le trésor avant Elgolie. Malheureusement la carte s’avéra plus difficile à lire qu’il y paraissait. Après plusieurs heures de recherches infructueuses, nous décidâmes de nous installer au bord d’un lac afin d’analyser plus précisément le plan. Soudain, je fus perturbé par un bruit inattendu, un bruit de pas qui semblait se rapprocher de nous. Gabrielle commença à paniquer.
« Emmanuel, c’est mon père ! chuchota-t-elle à mon oreille. Il va nous tuer !
 Non, dis-je avec détermination, je te protègerai. »
Le bruit se rapprochait de plus en plus et surgi de nulle part, se présenta…un sanglier. Nous nous sommes enfuis et malgré la peur, nous riions aux éclats, tellement soulagés de ne pas avoir du affronter Elgolie. Lorsque la nuit tomba, nous étions hors de danger et comme la nuit dernière avait été un peu fraîche, nous décidâmes de faire un feu. Malheureusement nous ne nous étions pas rendus compte que la fumée permettrait à Elgolie de nous retrouver. Soudain, il surgit des buissons, se jeta sur moi et tenta de m’étrangler. Il m’étouffait. Les battements de mon cœur ralentissaient. Gabrielle, furieuse, attrapa mon sabre et l’enfonça dans le ventre de son père, les larmes aux yeux. Surpris, il tituba puis s’écroula sur le sol. Il mourut les yeux fixés sur le visage angélique de sa fille. « Ma fille…Pardonne-moi… », dit-il dans un dernier souffle. Je le regardai sans ressentir la moindre compassion. Je tenais ma vengeance et je la devais à celle que j’aimais le plus au monde, le seul être au monde qui me restait. Gabrielle était en larmes à genoux devant le corps de son père. Tout à coup, elle se leva et prit le sabre, l’arrachant du corps inerte du capitaine. Elle le lança dans la mer puis se jeta dans mes bras, sanglotant à chaudes larmes.
« Il est tard Gabrielle. Demain, nous repartirons à la recherche du trésor »

6

Les premiers rayons du soleil me réveillèrent. Je réveillai Gabrielle et nous partîmes à la recherche du trésor de mon père. Il nous fallait le trouver coûte que coûte. Nous nous enfouîmes dans la jungle. Il y faisait très sombre. Gabrielle était effrayée : on n’y voyait pas mieux qu’en pleine nuit. « Va-t-on enfin trouver ce trésor », me répétait-elle. Je tentais de la rassurer mais comment être calme dans un endroit pareil ! D’autant que je n’étais pas au bout de mes surprises. Soudain, je sentis le sol se dérober sous mes pas : des sables mouvants ! Je fis un bond sur le côté.
« Comment allons-nous pouvoir traverser ? me demanda Gabrielle, totalement paniquée.
 Il va falloir grimper aux arbres… soupirai-je. »
J’aidai Gabrielle à se hisser jusqu’au sommet d’un grand arbre. Malheureusement la branche sur laquelle elle s’appuya se cassa net au moment où elle allait m’atteindre. De justesse, je l’attrapai par le poignet :
« Ne t’en fais pas je te tiens…Attrape la branche sur ta droite »
Gabrielle tremblait de tous ses membres. Elle parvint malgré tout à attraper la branche et à me rejoindre. Lorsque nous fûmes descendus des arbres et que nous retrouvâmes l’obscurité de la jungle, Gabrielle encore sous le coup de l’émotion, pointa du doigt un édifice qui semblait être un temple en ruine. Nous entrâmes.
« Regarde où tu marches, il y a peut être des pièges, dis-je à Gabrielle »
Soudain, nous aperçûmes ce qui semblait être l’entrée d’un sous terrain. Nous nous glissâmes à l’intérieur. Des signes cabalistiques recouvraient les murs. Gabrielle me devançait. Soudain, je l’entendis appeler. Je la rejoignis dans une immense salle. Elle était à genoux devant un coffre rouillé sur lequel était gravé des lettres : A C. Les initiales de mon père ! Avec mon pistolet, je tirai sur la serrure. Le coffre s’ouvrit. Il était empli de bijoux qui illuminèrent l’espace. En enfouissant les mains à l’intérieur du coffre, je découvris un portrait de famille. Sous le regard attendri de mon père, une femme, ma mère, tenait dans ses bras un nouveau né qui devait être moi. Au dos, une lettre m’était adressée :

Mon cher fils,
Quand tu ouvriras cette lettre, je ne serais certainement plus de ce monde. Je te lègue ce trésor qui appartient à notre famille depuis des générations. Rappelle toi cependant que ce ne sont que des bijoux. Ta mère et toi étiez mes deux seuls véritables trésors. Je veillerai sur toi de là-haut. Je t’aime. Ton père, Alban Cipazan
L’émotion était si forte que je me mis à pleurer. Soudain, un bruit sourd. Je me retournai. Gabrielle était étendue sur le sol, inconsciente. Elle saignait du nez. Je la secouai pour la ramener à elle. Elle ouvrit difficilement les yeux.
« Je me sens si faible, ramène-moi sur le bateau…. »
Pris de peur à l’idée de la perdre, j’abandonnai Gabrielle et regagnai le navire pour aller chercher du renfort.
« C’est peut être le scorbut, me dit Langue de bois »
Je n’avais jamais entendu parler de cette maladie mortelle. Avec l’aide des hommes d’équipage, je ramenai Gabrielle à bord du navire de son père. Pour les remercier de leur aide, je partageai avec eux le trésor. L’or qui me restait me servirait à faire soigner Gabrielle. Nous chargeâmes les calles de produits frais que nous trouvâmes sur l’île et nous reprîmes la mer.

A présent il me fallait regagner la France au plus vite et sauver « mon seul véritable trésor » …

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Auteur

 Emmanuelle DESCAMPS

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