"Du Kinder surprise considéré comme une oeuvre d'art" publié le 09/12/2007  - mis à jour le 21/06/2016

Un film de Pascal Goblot

Lichtenstein

Analyse d’image et réflexion sur la question de l’oeuvre d’art à partir des pistes de réflexion contenues dans le film "Du kinder surprise considéré comme une oeuvre d’art".

Résumé : Après trente années d’existence, les objets
sortis des oeufs en chocolat s’exposent dans les musées et
leur côte sur le marché de l’art ne cesse de croître… Alors,
les « Kinder Surprise » : des objets kitsch, des oeuvres
d’art ? Des spécialistes de l’art contemporain apportent des
réponses et le film nous questionne plus généralement sur
la notion d’oeuvre d’art.
Film documentaire –26’ – France – 2006

Des pensées qui sous-tendent le film

Duchamp « N’importe quoi, aussi laid que ce soit… deviendra beau après 40 ans. »

« L’entité qui s’appelle oeuvre d’art persiste dans toutes les civilisations et prend des formes extraordinairement variées. »
Nicolas Bourriaud « Formes de vie. L’art Moderne et l’invention de soi. »

Thierry De Duve « Au nom de l’art, pour une archéologie de la modernité. »
« On pourrait dire que n’importe quoi pourrait être de l’art à quatre conditions : qu’il y ait un objet, un auteur, un public, une institution pour mettre les trois premières conditions ensemble. »

Les problématiques

  • L’œuvre comme « causa mentale » (Léonard de Vinci)

Depuis Duchamp et son ready-made1, l’œuvre d’art n’est plus forcément fabriquée par l’artiste, ni unique, ni belle.
« Par le Readymade, Duchamp remet en question le concept de l’art reposant sur la maîtrise du savoir-faire ». Arthur Danto, « La transfiguration du banal »

Ce sont le lieu, le contexte et l’intention de l’artiste qui la définissent comme telle.
La remise en question de principes fondamentaux de jugement esthétique : le savoir-faire artistique, l’unicité, le beau… ouvre la voie à tout un pan de la création artistique au XXème siècle, comme le Pop Art, mais aussi l’Art Conceptuel où l’idée qui préside à l’œuvre demeure plus importante que l’objet réalisé. L’évolution du concept d’art, à laquelle Duchamp a largement contribué, a permis à des œuvres d’être intégrées au monde de l’art, ce qui n’aurait pas forcément été possible à une autre époque. « Supposons par exemple qu’un tas de feutre, comme Robert Morris en expose de temps en temps, ait fait son apparition au XVIIème siècle à Anvers, période à laquelle un tel objet aurait parfaitement pu s’y trouver, mais sans pouvoir être accepté comme une œuvre d’art, pour la toute simple raison que le concept de l’art en cours à cette époque n’aurait pas pu l’intégrer. » Danto.
La part importante, voire majeure, laissée au discours sur l’œuvre rend difficile la distinction entre l’art et sa propre philosophie. Lorsque le discours seul suffit à créer l’œuvre on peut supposer avec Danto que l’art ne serait « qu’une forme momentanément aliénée de la philosophie. »
De même le « tout est art » que la posture de Duchamp implique a vu de multiples dérives. Soyons attentifs, et Danto le souligne, à l’idée que « bien entendu, le fait que tout puisse être une œuvre d’art n’implique pas que tout en soit une ».

  • L’œuvre « Mode d’emploi »


Le spectateur
prend, à partir de Duchamp, une place importante dans l’élaboration de l’œuvre. C’est lui qui la construit partiellement, il n’est plus simplement cantonné dans un rôle contemplatif.
« Sans entrer dans des considérations critiques, on peut signaler toute une série de nouveaux rapports oeuvre spectateur, qui va de la simple contemplation au "spectateur-œuvre ", en passant par le " spectateur-stimulé ",le" spectateur-déplacement ", le" spectateur-activé ", le" spectateur-interprète ", etc. » Julio Le Parc.
Cette interactivité avec le spectateur revient à repenser le musée comme lieu de présentation de l’œuvre.

  • Réinvention du musée

Les remises en question des critères habituels de l’œuvre d’art et de leur réception par le public ont forcément comme conséquence celle des structures d’accueil de l’art.
Le principe du socle, du cadre, de la vitrine présents au musée comme dispositifs de présentation de l’œuvre, de mise à distance, voire de sacralisation, ont été directement ébranlés par les « readymade » de Duchamp. En effet, ce dernier prouvait d’une certaine manière qu’il suffisait de poser un objet banal, industriel, voire provocant, sur un socle, dans un contexte d’exposition, pour que celui-ci soit reconnu comme une œuvre d’art. C’est une manière de prendre l’institution à son propre jeu.
A sa suite, de nombreux courants artistiques au cours du XXème siècle ont cherché à remettre en question la relation de l’œuvre au musée, à la faire sortir, à rompre avec les dispositifs classiques de présentation.
« A quoi le musée peut-il encore servir sitôt que l’œuvre d’art prend la forme d’un happening, d’une intervention gestuelle réalisée à même la rue ? En celui-ci, peut alors écrire Robert Smithson, les œuvres d’art sont comme des « invalides inanimés », capital mort stocké comme un trésor muré.(…) L’intensification, avec les années soixante, du travail hors du musée ou de la galerie, celle des formules d’art conceptuel, également, attestent en creux l’inadaptation croissante d’une structure muséale qui tarde à se rénover. » Paul Ardenne, « Art l’âge contemporain, une histoire des arts plastiques à la fin du XXème siècle ».

  • L’œuvre d’art, objet transitionnel ?

« Le monde du jeu et le monde de l’art sont aujourd’hui devenus une gigantesque bulle interactive. Ils constituent l’équivalent d’un univers protecteur contre les agressions multiples que notre civilisation mondialiste ne cesse d’accumuler en arrière-plan. (…) Cette protection contre le réel et ce développement massif d’un imaginaire de nature ludique n’ont-ils pas toujours fait partie de la nature de l’art ? Et ce, depuis ses lointaines origines – rituelles, magiques et religieuses. » Florence de Mèredieu, « Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne ».

Hélène Lamarche

Voir les animations réalisées par les élèves

(1) « Objet se prétendant œuvre d’art, le ready-made (à ses débuts, du moins, avant que ne se galvaude le recours artistique à l’objet banal) est ainsi tout à la fois invitation à repenser le statut de l’œuvre, provocation à l’encontre de l’institution de l’art (musée, jurys, critique, etc.), lieu enfin où se relance sans délai l’éternelle question « Qu’est-ce que l’art ? » Tous les critères ou à peu près, déjà, qui fondent l’art conceptuel. » Paul Ardenne, « Art l’âge contemporain, une histoire des arts plastiques à la fin du XXème siècle »

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