Les élèves de 3e à la rencontre des témoins de la SHOAH publié le 02/03/2023

Les élèves de 3e du collège de l’Atlantique ont participé à une matinée destinée à la mémoire de la SHOAH. Épaulés par leurs professeurs de Lettres et d’Histoire Géographie, ainsi que par le professeur documentaliste, ils ont accueilli Mesdames Renée Aboulhair et Victoria Mizrahi.

Un travail préparatoire a été réalisé en interdisciplinarité à partir de documents d’archives tirés des Archives municipales de Rochefort et des Archives départementales de la Charente Maritime ainsi que d’un questionnement que les élèves ont élaboré à partir de ces documents.

Rencontre avec Victoria Mizrahi

Rencontre avec Renée Aboulhair

Les élèves ont pu interroger les deux témoins sur des questions d’ordre historique et familial : les origines et l’histoire de leur famille, le sort réservé aux Juifs durant la Seconde Guerre mondiale et l’après-guerre.

Les questions ont aussi abordé des thématiques comme l’antisémitisme, le devoir de Mémoire, le révisionnisme et le travail sur soi.

Les élèves volontaires pourront présenter la démarche et un travail réalisé en collaboration avec Radio collège et la documentaliste, Madame Merlet, pour leur oral du Brevet des collèges.

Histoire des deux familles.

La famille Aboulhair

Les origines

Victor, Jeannette, Albert et Edmond vers 1939. Source : Mémorial de la Shoah

De Constantinople à Rochefort... Maurice-Moïse Aboulhair et Esther Altabe sont nés à Constantinople dans l’Empire ottoman en 1903 et 1907. Ils descendent des Sépharades, Juifs originaires d’Espagne, et parlent le Ladino, mélange d’Espagnol et de Yiddish. À la fin de la Première Guerre Mondiale, l’Empire ottoman, allié de l’Allemagne, est vaincu puis démantelé. Nombreux sont ceux qui quittent l’Empire pour éviter les persécutions contre les communautés non musulmanes. Esther Altabe a 12 ans lorsque sa famille embarque pour l’Amérique en 1919. Le bateau fait escale à Marseille. La France, qui doit faire face à une pénurie de main-d’œuvre, apparaît comme une terre d’asile accueillante. Ils choisissent de s’installer à Paris en 1920. Maurice Aboulhair arrive lui aussi en France en 1919 : il a 16 ans. Il est d’abord ouvrier cordonnier puis marchand ambulant en tissus et finit par posséder une bonneterie de luxe dans le 11e arrondissement. Il épouse Esther Altabe et quatre enfants naissent de cette union entre 1926 à 1937 : Victor, Jeannette, Albert et Edmond. Au début de la guerre, peut-être pour se protéger, la famille quitte la capitale pour Fouras puis Rochefort. Un cinquième enfant, Renée, voit le jour le 24 octobre 1940 à leur domicile 54 rue du Maréchal Lyautey. À deux pas, chez Doublet au 64bis, Maurice reprend son ancien métier d’ouvrier cordonnier.

L’Occupation

carte d’identité d’Esther Aboulhair.
Source : Archives départementales de la Charente Maritime

Au moment de l’armistice, la Charente-Maritime se trouve en territoire occupé. Très vite, le gouvernement de Vichy prend des mesures contre les Juifs, et en premier lieu contre ceux qui sont étrangers. L’entrevue de Montoire, le 24 octobre 1940, entraîne la France dans la voie de la Collaboration. Le 3 octobre 1940 paraît le premier statut des Juifs qui les exclut de la fonction publique et des professions artistiques. Ils doivent se faire recenser, apposer la mention « commerce juif » sur leur magasin et rédiger une déclaration d’appartenance à la religion juive. Enfin, un tampon « Juif » est apposé sur les cartes d’identité. Ce sera le cas de la famille Aboulhair dont on a retrouvé la carte d’identité aux archives départementales de la Charente-Maritime.

Dès 1941, le 2ème statut des Juifs élargit les métiers interdits aux professions commerciales, industrielles, artisanales ou libérales. À partir de 1942, est imposé le port de l’étoile jaune en territoire occupé mais la famille y échappera comme le montre le télégramme retrouvé : en effet, la législation pour les Juifs en Turquie n’impose pas le port de cet insigne. Est imposé aussi un contrôle tous les 15 jours pour s’assurer du respect du couvre-feu.

1943 – 1944 : l’expulsion vers Saint Jean d’Angély

Bordereau attestant du départ de la famille de Rochefort vers Saint Jean d’Angély. Source ADCM

Le 11 janvier 1943, les Allemands expulsent les Juifs en dehors de "la zone côtière interdite". Le commissariat de police de Rochefort s’assure du respect de cette mesure décidée par les autorités d’Occupation : la famille Aboulhair, alors installée 64 rue Toufaire, quitte Rochefort à compter du 28 janvier 1943 pour s’établir à Saint-Jean-d’Angély, au lieu-dit Moulinveau. Plusieurs sources concordent pour dire que la « maison rouge » serait le lieu où la famille se serait établie.

1944 : la déportation vers Auschwitz

Carnet de fouille de la famille Aboulhair à Drancy. Source : Mémorial de la Shoah.

Le 29 janvier, le Maire de Saint-Jean d’Angély prévient Esther Aboulhair d’arrestations imminentes. Il leur conseille de partir... Mais Esther ne comprend pas que la situation est grave. Par ailleurs, son fils Victor est hospitalisé et ne peut se déplacer... Le 30 janvier 1944, Esther, Maurice et deux des enfants, Edmond et Albert âgés de 6 et 8 ans sont arrêtés le soir à leur domicile par la gendarmerie nationale pour motif racial. Ils sont d’abord transférés à l’école Paul Doumer à La Rochelle, puis au camp d’internement de Poitiers et ensuite à Drancy.
Esther Aboulhair réussit néanmoins à faire parvenir deux lettres à sa famille. Elle est inquiète pour les trois enfants qui ne sont pas à ses côtés. Le maire de Saint-Jean d’Angély a insisté pour que Victor ne soit pas arrêté et qu’il reste hospitalisé le temps nécessaire. Jeannette est chez une tante et Renée chez ses grands-parents depuis 1942. Il est urgent de prendre des dispositions pour mettre les enfants à l’abri du danger. L’une des lettres est adressée à ses parents :

Les survivants

Renée Aboulhair, Crédit photo : R.Aboulhair-Astabé

Victor, Jeannette et Renée, trois des enfants de la famille Aboulhair, échappent à la répression. Victor s’enfuit de l’hôpital de Saint-Jean d’Angély. Il est recueilli par des Religieuses pendant la durée de la guerre. La famille se charge de dissimuler Jeannette et Renée. Jeannette est recueillie par une tante et Renée placée dans une ferme par l’Œuvre de secours aux enfants (OSE) avec son cousin de 5 ans son aîné. Mais les Allemands sont à leur recherche, sans doute à la suite d’une dénonciation. Renée, cachée sous un lit par son cousin, se souvient des bottes qui s’approchent, d’une main qui la tire de sa cachette puis de leur peur, debout contre un mur. Elle a 4 ans. Renée et son cousin sont présentés comme des membres de la famille de la ferme. Le subterfuge fonctionne et les sauve.

La famille Mizrahi

Les origines

Lucien,Rachel, Victoria et Jean-Claude Mizrahi. Source : Mémorial de la Shoah

César Simantov Mizrahi, né en Turquie en 1900, est un migrant arrivé en France à pied, dans les années 20. Il était commerçant ambulant un peu partout en France, dans les années 30, avant d’ouvrir un magasin de vêtements, nommé « Au fouillis », 34, rue Saint-Yon, à La Rochelle. César Mizrahi et son épouse, Sophie Hillel, étaient Juifs. De cette première union naîtront plusieurs enfants.

1939 – 1943 : la vie à La Rochelle

Désignation des commissaires gérants pour l’administration des biens juifs. Source ADCM

Au moment de l’armistice, la Charente-Maritime se trouve en territoire occupé. Très vite, le gouvernement de Vichy prend des mesures contre les Juifs, et en premier lieu contre ceux qui sont étrangers. L’entrevue de Montoire, le 24 octobre 1940, entraîne la France dans la voie de la Collaboration. Le 3 octobre 1940 apparaît le premier statut des Juifs qui les exclut de la fonction publique et des professions artistiques. Ils doivent se faire recenser, apposer la mention « commerce juif » sur leur magasin et rédiger une déclaration d’appartenance à la religion juive. Enfin, un tampon « Juif » est apposé sur les cartes d’identité.
Dès 1941, le 2ème statut des Juifs élargit les métiers interdits aux professions commerciales, industrielles, artisanales ou libérales. Le commerce de la famille « Au Fouillis » est alors attribué à un commissaire gérant. À partir de 1942, est imposé le port de l’étoile jaune en territoire occupé. Le document ci-joint montre que la famille Mizrahi n’y a pas échappé. Elle était imposée aussi bien dans l’espace public que dans l’espace privé. Un contrôle tous les 15 jours était également imposé pour s’assurer du respect du couvre-feu et du port de l’étoile de David.

1943 – 1944 : l’expulsion vers Saint Jean d’Angély

Ordre d’expulsion des familles juives de la zone côtière interdite. source ADCM

Le 11 janvier 1943, les Allemands expulsent les Juifs en dehors de "la zone côtière interdite". La famille Mizrahi vient s’installer à Saint-Jean-d’Angély, au lieu-dit Moulinveau. Plusieurs sources concordent pour dire que la « maison rouge » serait le lieu où la famille se serait établie.

1944 : la déportation vers Auschwitz

Liste des déportés du convoi No 68 depuis Drancy vers Auschwitz, 10 février 1944

Le soir du 30 janvier 1944, César, son épouse Sophie, et quatre de leurs enfants, Victoria, Rachel, Jacky et Jean-Claude sont arrêtés à leur domicile par la gendarmerie nationale pour motif racial. Ils sont d’abord transférés à l’école Paul Doumer à La Rochelle, puis au camp d’internement de Poitiers et enfin à Drancy. Les membres de la famille sont ensuite déportés par le convoi n° 68 qui part de Drancy le 10 février 1944. Ils arrivent à Auschwitz-Birkenau le 13. Seul César a survécu.

Les survivants

Témoignage de César Simantov Mizrahi. Source : fonds Henri Gayot. ADCM

Deux enfants ont échappé à l’arrestation. Victoria Mizrahi, la fille de César, nous a expliqué en 2020 que Josette et Albert, âgés de 3 et 4 ans avaient été cachés tous les deux en zone libre. Pourquoi eux  ? Parce qu’ils étaient roux, alors que tous les autres étaient bruns. Ils avaient donc plus de chances d’échapper à une arrestation.

En revanche, en ce qui concerne ceux qui ont été déportés, seul César a survécu à Auschwitz. Sa fille raconte à propos de la libération du camp par les Russes que, lorsqu’ils ont retrouvé son père, il gisait dans un charnier. C’est en bougeant légèrement la main que la Croix Rouge a réussi à le repérer. Il ne pesait plus que 38 kilos. Soigné en Russie, il a dû travailler dans les mines de sel pendant de longs mois pour payer ses soins. Il a ensuite réussi à quitter le pays fin 1945 pour finalement débarquer à Marseille ; il revient alors à La Rochelle pour retrouver ses deux enfants, Josette et Albert : ceux-ci avaient été cachés pendant deux ans, puis confiés à un orphelinat dans le Cher. Personne n’imaginait que leur père reviendrait d’Auschwitz vivant. Il était considéré comme « mort pour la France ».
César a chéri ses deux enfants rescapés de la Déportation, les élevant dans le souvenir de leur mère et de leurs frères et sœurs, puis leur a offert un nouveau foyer en épousant Lina Abolafia. En souvenir de ses deux aînées mortes à Auschwitz, il a appelé les deux filles qu’il a eues de ce second mariage, « Victoria » et « Rachel ». Véritable force de la nature, César Simantov a reconstruit sa vie autour de son magasin de la rue Saint-Yon. Il a pris sa retraite en 1973, à l’âge de 73 ans, à Rivedoux, où il est décédé huit ans plus tard.

Le devoir de Memoire

La place Sophie Hillel, femme de César Mizrahi, près du marché central de La Rochelle

Plaque commémorative posée devant l’école Paul Doumer à La Rochelle.

Impression

Auteur

 Gautier Alexandre

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