DEUX HEURES DE POESIE… publié le 04/12/2019

DEUX HEURES DE POESIE…

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Jeudi 14 novembre 2019, les 6ème D ont eu la chance de rencontrer l’auteur camerounais Kouam Tawa, en résidence d’artistes à la Villa Bloch de Poitiers. Il est venu pendant deux heures parler de son travail, de son pays, pour ensuite amener les élèves à écrire un poème de célébration à la manière de Camara Laye. La journée s’est terminée par un beau moment d’échange et de lectures partagées.

Qu’est-ce qui vous a incité à devenir poète ?

Quand j’étais enfant, au petit déjeuner, on mangeait du BHB (Beignet – Haricot – Bouillie). J’allais à l’école avec mes amis, Casimir, Jacques, Baudelaire. Chaque matin, nous allions chez Jacques pour récupérer le reste des beignets que sa mère faisait. Elle les emballait dans du papier journal. Or, un matin, il n’y avait plus de papier journal. Un des membres de sa famille était bouquiniste et une grande quantité de livres se trouvait dans la maison. La mère de Jacques était analphabète ; elle arrache alors une page d’un livre pour emballer les beignets. Nous avons mangé les beignets sur la route de l’école. Mais comme j’étais curieux, j’ai lu la page qui contenait les beignets. Le texte qui servait à les emballer était « Prière aux masques » de Léopold Sedar Senghor. Je n’ai rien compris à ce poème. J’ai donc demandé à mon instituteur de CE2, Monsieur Rigobert, quel était son sens. Il m’a répondu qu’il n’avait pas le temps. Je l’ai relu le soir chez moi, et je n’ai toujours rien compris. Le lendemain, je suis retourné demander des explications à mon maître qui m’a répondu : « Ce texte, tu ne peux le comprendre que si tu es toi-même poète ». J’ai donc voulu devenir poète !

Quel est votre premier poème ?

Au CM1, j’ai fait une tentative de poème qui s’appelait « Le temps ». Mais mon premier véritable poème a pour titre « L’épi naissant » et je crois qu’un jour je vais le publier. Je l’ai écrit quand j’étais en 4ème. A Bafoussam, mon village, il y a un grand chemin qui partage la ville en deux. Pour aller à l’école, je devais traverser ce chemin. Bafoussam est la capitale du Bamiléké. Chez nous, les familles n’enterrent pas leurs morts dans des cimetières mais dans leur village. Bafoussam est la seule ville où il y a une morgue, et la région de l’ouest a 102 villages et tous les morts ressortissants de ces villages arrivaient dans cette morgue. Le vendredi était le jour des cortèges funèbres. Je les voyais passer le matin en allant à l’école, à midi, à 14h, 17h30. Tous les vendredis je pouvais voir de longues files de corbillards qui passaient. Un jour, je vois passer un corbillard avec la photo d’une jeune fille qui a à peu près le même âge que moi, 14 ans. J’ai eu peur. Et je me suis demandé, si j’avais été à la place de cette jeune fille, qu’aurais-je aimé que l’on retienne de moi ?
A 14 ans, je lisais André Chénier et son poème « La jeune captive » : « L’épi naissant mûrit de la faux respecté ; / Sans crainte du pressoir, le pampre tout l’été / Boit les doux présents de l’aurore ; » C’est le titre de mon long poème de 50 pages qui raconte mon enfance.

Avez-vous toujours voulu devenir poète ?

Jeune, je rêvais de devenir pilote. Mon père, jusqu’à sa retraite était chauffeur de taxi. Il me disait : « un enfant doit faire mieux que ses parents ». Que pouvais-je faire pour aller plus loin que mon père ? C’est ainsi que j’ai décidé de devenir pilote. Sauf que j’ai eu la chance, en classe de première, d’assister à une conférence donnée par un ingénieur, René Dumont, qui a changé ma vie. Je rêvais d’être comme les adultes, en costume, en cravates, même quand il fait chaud. C’était pour moi une marque de réussite. Dans cette conférence, tout le monde était en costume et mourait de chaud.
« La cravate était un signe de bourgeoisie au XIXème siècle en Europe ». Ce furent les premiers mots prononcés par René Dumont, arrivé en boubou ! Après cette démonstration, j’ai décidé que je ne serai pas pilote, mais que je voulais devenir ingénieur agronome pour améliorer les conditions alimentaires de mon pays. Et j’ai juré de ne jamais porter de cravate et de costume ! Malheureusement, mes parents n’ont pas obtenu pour moi de bourse pour l’université, alors je me suis consacré à la littérature. Je me demande si j’ai mieux fait que mon père, car quand mes lecteurs me lisent, je les fais voyager d’un univers à l’autre…

Comment vous sentez-vous quand vous écrivez ?

La première écriture n’est jamais facile. Je marche beaucoup et toujours avec des bouts de papiers dans mes poches ; format A4 que je plie en deux dans la longueur puis à nouveau en deux. J’écris tellement petit que je ne peux pas toujours me relire. J’écris comme ça parce que je veux que personne n’arrive à me lire si jamais je perds mes papiers ! Comme c’est un premier jet, je ne fais pas attention à l’orthographe et je ne voudrais pas que quelqu’un qui trouverait mes papiers puisse dire que je fais des fautes d’orthographe !
Quand j’écris, j’entends une musique et il faut que le texte final corresponde à la musique que j’ai entendue. Pour que ce que vous avez envie de dire corresponde avec ce que vous avez écrit, il faut trouver les bons mots. Si ça ne correspond pas, je jette ou je recommence. Si ça correspond, je suis heureux et il m’arrive alors de mettre de la musique très fort et de danser dans ma chambre, tellement je suis heureux !

Qui sont vos poètes préférés ?

En premier, Léopold Sédar Senghor, Sénégalais, Aimé Césaire, Martiniquais, Léon Gontran Damas, Guyanais, Rabindranath Tagore, Indien, Emily Dickinson, Américaine, Arthur Rimbaud, Français, Anne Eberth, Québécoise, Pablo Néruda, Chilien, et bien d’autres encore !

Comment faites-vous pour trouver un titre à un poème ?

Parfois, le titre vient en premier et il fait naître le poème. Parfois le poème vient en premier et je choisis un mot ou un vers pour le titre. Quand je n’ai plus d’inspiration, je fais ce que dit Pablo Neruda, « de tant aimer de tant marcher naissent les livres ».
Faulkner disait que le travail de l’écrivain venait de 1% d’inspiration et de 99% de transpiration. Le poème va donc naître de 99% de travail. Ce qui va donner sens au poème, c’est le travail.

Kouam Tawa a alors conclu son introduction par ces mots : « Mon métier m’amène à voyager aux quatre coins du monde, la preuve, je suis à Poitiers aujourd’hui, en France, au collège Jean Moulin ! Et je suis ravi car je peux converser avec des enfants de partout, car écrire pour les enfants, c’est ce qui me tient le plus à cœur. »

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Les 6ème sont passés ensuite aux travaux pratiques. Kouam Tawa, lors d’un atelier d’écriture, leur a lu le poème de Camara Laye, « A ma mère », et ils ont dû écrire à la manière de ce poète un poème de célébration. De belles productions ont vu le jour et c’est fièrement qu’ils ont lu à la classe et à Kouam Tawa ce qui était sorti de leur imagination, inspirés par sa présence charismatique et bienveillante.

Ecrit par les élèves de 6ème D.