Les 6e interviewent un célèbre paléontologue publié le 05/12/2017

Jean-Sébastien Steyer est paléontologue au CNRS rattaché au Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris. Il est l’un des rares spécialistes du Permien, une période qui s’étend de – 250 millions à – 300 millions d’années, et étudie vie la vie sur Terre avant les dinosaures. Auteur reconnu d’ouvrages de vulgarisation scientifique, ce passionné de fantastique signe également des chroniques dans des revues et participe à des conférences sur la place des sciences dans la science-fiction. Les élèves des trois classes de sixième du collège André Brouillet de Couhé ont eu la chance de réaliser son interview.

Est-ce difficile de devenir paléontologue ?
Rien n’est difficile quand on est passionné ! ;-)

Quelles sont les études à suivre ?
Bac scientifique puis LMD (Licence Master Doctorat) en biologie ou en géologie ou les deux (= formation de prof). Il existe des Masters où la paléontologie est enseignée à Paris, Poitiers, Lyon, Dijon, Montpellier. Le Doctorat équivaut à un Bac+8. Vous choisissez bien sûr le sujet de votre thèse avec les conseils des chercheurs en poste. En fait, dès le stage de Master 2ème année, vous devenez presque déjà un jeune spécialiste en paléontologie en fonction de votre spécialité (ex. l’évolution des mammifères après les dinosaures). Ces études paraissent très longues, mais si vous êtes passionnés comme moi, vous ne verrez pas le temps passer !

Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire ce métier ?
Depuis tout petit, je rêvais de devenir paléontologue. Je lisais des BD (comme Rahan dans un super journal, Pif Gadget), des bouquins, je collectionnais des stickers et des figurines de dinosaures ! J’étais un geek avant l’heure ! Mon grand-père dessinateur me dessinait des dinosaures et je devais deviner le plus rapidement possible de quelle espèce s’agissait-il. C’était génial. Et puis la passion m’est restée. Et aujourd’hui je n’ai vraiment pas l’impression de bosser, de travailler, car je fais vraiment ce qu’il me plait.

Où travaillez-vous ?
Au Muséum national d’Histoire naturelle à Paris, au Jardin des Plantes. Je serais heureux de vous y accueillir si vous venez un jour.

Travaillez-vous seul ou en équipe ?
Parfois seul (pour rédiger certaines publications, devant mon ordi), parfois en équipe. Sur le terrain, travailler en équipe est nécessaire ! Comme le dit un proverbe chinois « si tu veux aller vite, fais le seul, mais si tu veux allez loin, fais-le à plusieurs ! «  ;-)

Voyagez-vous beaucoup dans votre métier ?
Oui, 2-3 voyages par an en moyenne. J’adore voyager ! Je voyage dans le monde pour trouver des fossiles et pour participer à des congrès (des sortes de grandes réunions annuelles entre paléontologues dans une ville aux États-Unis ou en Europe, ça dépend, où chaque paléontologue présente ses résultats devant ses collègues).

Vous rendez-vous à l’étranger pour votre travail ?
Oui, je travaille en Tanzanie, en Zambie et au Maroc actuellement. Il y a quelques années j’ai travaillé en Algérie, au Niger, au Lesotho et au Laos en Asie du Sud-Est. J’espère aller aussi en Antarctique !

Changez-vous souvent de lieu de fouilles ?
Lorsque le gisement est épuisé, c’est-à-dire lorsque nous n’y trouvons plus de fossiles, oui, on change… En moyenne, on change tous les 4-5 ans mon équipe et moi : alors nous partons dans un autre pays, ou une autre région pour aller prospecter ailleurs. On ne s’arrête jamais, car il y a encore des tonnes de fossiles à découvrir dans le monde !!!

Comment se déroulent et s’organisent les fouilles ?
Les fouilles dépendent des prospections. Avant de partir sur le terrain, nous analysons la carte géologique du monde ou de certains pays pour voir où sont les sédiments correspondant à une époque ou à notre spécialité (ex. si vous travaillez sur les dinosaures du Crétacé, vous allez cibler les roches datant du Crétacé qui se sont déposées en milieu continental). Cela réduit les champs d’action, mais les fossiles n’ont pas de frontière ! C’est génial. Nous passons ensuite pas mal de temps en bibliothèque pour voir ce qui a déjà été fait dans la région ciblée. Ensuite, en fonction de l’intérêt, nous montons une mission de prospections : il s’agit de marcher beaucoup dans la nature (ex. 10 à 15km par jour dans la savane tanzanienne) en repérant les roches à l’affleurement (= en surface) et détecter la moindre esquille (= morceau d’os) fossile. Nous sommes bien entrainés pour cela grâce aux connaissances apprises pendant nos études.

Quelles précautions faut-il prendre ?
Tout dépend des pays. En Zambie par exemple, il faut faire gaffe aux animaux sauvages (éléphants, lions, etc) qui peuvent être agressifs, car ils sont parfois chassés par des braconniers. Nous avons donc un « ranger » avec nous, une sorte de garde champêtre. Il a un fusil, mais heureusement, il ne s’en est jamais servi ! Au Laos, il faut faire gaffe au Cobra royal, le plus grand Cobra du monde qui est très agressif (il garde son nid, c’est normal) ! Nous prospectons dans une zone où il existe encore (malheureusement son aire de répartition est de plus en plus réduite à cause des constructions de routes, des villes, etc.). Marcher dans la jungle ou dans la savane à la recherche de roches et de fossiles, c’est l’aventure, c’est génial !

Avez-vous une spécialisation ?
Oui, je travaille sur ce qui s’est passé avant les dinosaures ! C’est d’ailleurs le titre de mon livre « La Terre avant les dinosaures » aux éditions Belin. Si vous organisez un projet avec votre classe pour me payer le train, je veux bien venir en parler dans votre collège !

Quelles sont vos plus importantes découvertes ? Avez-vous identifié de nouvelles espèces ?
J’ai découvert en tout, et jusqu’à aujourd’hui, une douzaine de nouvelles espèces : des protodinosaures, des stégocéphales (salamandres géantes préhistoriques) et même des insectes fossiles ! Ma plus importante découverte : c’était l’été dernier, en Tanzanie, avec mes collègues américains sud-africains et tanzaniens : nous avons découvert un squelette complet d’un petit protodino… peut-être le plus ancien au monde !!! Mais chuuut, n’en parlez pas trop, car ce n’est pas encore publié ;-)

Est-ce difficile de cumuler des activités de recherche et l’écriture ?
Bon non, pas trop… la preuve, mes réponses sont très longues vous ne trouvez pas ? (rires)

Pourquoi avoir écrit le livre « Les animaux du futur » ?
Car, en bon vieux geek qui se respecte, j’ai vu tous les Jurassic Park plusieurs fois bien sûr, et je suis fan de science-fiction en général ! Dès qu’un film sort au ciné, avec mon collègue et ami paléoartiste Marc Boulay, on s’appelle et on en parle : on commente surtout les monstres, leur morphologie, leur anatomie ; sont-ils réalistes, sont-ils plausibles d’un point de vue biologique ? Je fais même la même chose avec les monstres des jeux vidéos ! Un jour Marc m’a appelé et m’a dit : « parler des mondes imaginaires, c’est bien… et si nous inventions notre propre bestiaire ? » Ce fut l’étincelle… et c’est comme ça que sont nés les Animaux du Futur ! ;-)

Avez-vous déjà réalisé ou collaboré à des films documentaires ? Est-ce un projet pour plus tard ?
J’ai déjà collaboré à des films documentaires : j’ai été interviewé en tant que spécialiste de « l’avant-dinosaure » pour plusieurs documentaires, comme celui intitulé « Les Mondes perdus », en fait une série de docus qui est passée sur Arte en Noël dernier. J’ai aussi participé à l’écriture d’un documentaire avec Jacques Malaterre, le grand réalisateur de « L’Odyssée de l’Espèce » et du film « Ao, le dernier Neandertal ». C’était une super expérience et j’aimerais bien le refaire !

Bibliographie :

Exquise planète, éditions Odile jacob

Combien de doigts a un extraterrestre, éditions Belin

La Terre avant les dinosaures, éditions Belin

Les animaux du futur, éditions Belin

Les mondes perdus, éditions Glénat